1ère de couverture
4e de couverture
Prière d'insérer :
Un jeune homme désabusé voit sa vie basculer à cause d’un don un peu particulier : voilà qu’il se met à entendre certains bruits avec vingt-quatre minutes d’avance. Un phénomène un peu agaçant, mais a priori pas de quoi bouleverser une vie. Sauf quand on entend avant tout le monde l’explosion due à un attentat dans le RER.
La descente aux Enfers commence.
En vente…
Le livre a depuis longtemps été envoyé au pilon, mais on peut encore trouver ce roman chez Amazon et peut-être d'autres boutiques en ligne.
Extrait - chapitre 1
C’est la cloche qui m’a mis la puce à l’oreille, en quelque sorte. Je l’entendais sonner assez distinctement, quoique plus lointaine, comme effacée, qu’elle n’aurait dû être. J’ai demandé à Julienne à côté de moi dans le lit si c’était la cloche qu’on entendait, si c’était la cloche de huit heures. Elle a regardé le réveil et dit que non, il n’était que trente-six, non, on n’entendait pas la cloche. Pourtant elle sonnait. Sur un autre plan, peut-être, à un autre niveau de perception.
Dans l’état de quasi-délire propre à la fin du sommeil, j’ai émis l’hypothèse que peut-être je l’entendais en avance, que j’entendais le futur. Elle n’a pas réagi, elle s’est levée, il y avait un biberon à préparer, il fallait se laver, faire le thé, etc., toutes ces choses immuables qui nous engloutissent peu à peu dans une toile serrée de ridules et de petites névralgies.
Mais je n’ai pas abandonné le fil de mon idée, comme à l’ordinaire ; si j’ose dire, quelque chose me disait que je tenais quelque chose. Un peu vague, peut-être. Mais dans la folie typique à l’inconscience du réveil, je n’en avais cure.
La cloche a fini par s’arrêter, et j’ai décidé d’attendre huit heures pour voir si elle allait bien sonner comme d’habitude, distinctement.
J’ai profité de l’attente pour me demander si j’allais vivre avec ce don de voyance, terme inadapté mais je ne me sentais pas de faire un néologisme à ce moment-là, si ce serait facile, et tout de suite, comment j’allais passer mes dernières vingt-quatre minutes après avoir entendu, mettons, le crissement terrifiant des pneus, l’épouvantable bruit du choc, du verre qui s’éparpille et de la tôle qui se froisse et se mélange à la chair, de la chair qui se déchire, des entrailles qui se répandent, et mon grand cri, mon cri interminable.
La « vraie » cloche, celle du monde réel des gens normaux, a entamé son branle, interrompu mes réflexions en les rendant plus vitales, ce que c’était court vingt-quatre minutes, abominable. Et est-ce que le tempo n’était pas plus rapide que dans ma vision (à nouveau, terme à composer, peut-être calquer et tout bêtement réutiliser « ouïe »), est-ce que c’était juste la même tonalité ? Peut-être que j’entendais le futur légèrement au ralenti ? Faudrait faire des tests. Mais avec quels appareils ? Prouveraient-ils ma folie dans leur mutisme obstiné, physique et mathématique ? Ou si ça ne se reproduisait plus ? Ou encore, si ça n’advenait guère qu’au réveil ? Entendre la cloche deux fois tous les jours, c’était pas tellement intéressant comme don. Sans compter que ça voudrait dire être réveillé avec vingt-quatre minutes d’avance. J’allais devoir me coucher de bonne heure.
Au bout d’un moment (en caleçon sur le canapé, je me frotte les yeux en finissant mon café pendant que Julienne claque la porte, le bébé dans les bras), les idées s’éclaircissent, comment ce serait possible une chose pareille ; ça ne tient pas debout ; c’est du domaine du rêve, clairement, de l’alogisme des petits enfants et des tribus primitives. N’ai jamais été mystique d’aucune façon, un saint Thomas de compétition, moi. Ridicule, tout ça.
Le voisin d’à côté cassait quelque chose dans sa cuisine, c’était un bruit bien clair, concret, propre à ramener sur terre n’importe quel crâne égaré dans le fantasme. J’ai achevé de reprendre mes esprits doucement, en feuilletant deux trois journaux qui traînaient sur la table, le monde normal y était peut-être encore plus insupportable qu’à la radio, les paroles s’envolent, cette sorte de choses. Innombrables les meurtres tueries famines viols massacres pogroms exterminations, les accidents de train et d’avion, les O.P.A. hostiles, les licenciements secs et les grands discours ou petites phrases des politiciens, tout ça imprimé à 120 pages/seconde d’une encre grasse sur un papier poreux. Grossis cent fois, les caractères étaient tout déformés par la vitesse d’impression, les empattements tordus en bouches de pleureuses, les contours flous comme à travers des larmes. Malgré, ou à cause de ça, les parcourir était ce qu’il y avait de mieux pour réaffirmer sa présence dans la réalité, je pouvais me dire que j’étais partie intégrante de ce formidable merdier de la vie, une infime particule, mais d’un indivisible tout. C’était inenvisageable, et probablement infructueux, de le quitter pour rejoindre ce monde hostile à deux pas du nôtre, ce monde de vieilles femmes, de grands yeux maquillés sans humour et d’Africains en robe. Y entrer, me semblait-il, c’était ouvrir toute grande la porte à la folie et à la misère. Le bon sens et l’intelligence me commandaient de me laver, de m’habiller, et d’aller au-dehors, à la recherche d’un travail. Je me suis donc levé.
C’est quand ma tasse a explosé sur le carrelage que je me suis souvenu que le voisin était en vacances. Je n’avais pas regardé ma montre, mais ça devait être ça, une petite demi-heure. Casser de la vaisselle me met en joie, d’ordinaire. On se débarrasse un peu des choses en cassant ; autant de vieille faïence qui ne nous engluera plus dans ses fils poussiéreux ; ça permet de renouveler, de faire bouger un peu les choses, il est si facile de s’enfermer dans les habitudes, que la mort d’un objet inanimé, j’ai toujours eu l’impression que ça me réveillait un petit peu. Là, bien sûr, c’était juste l’opposé, j’avais plutôt le sentiment de replonger dans le rêve. […]
Un roman de sholby, 1998

1ère édition © Fleuve Noir, 1998
ISBN : 2-265-06574-9
Broché - 96 pages
Back to Top